Évaluation de l’acceptabilité et de la faisabilité d’un programme de don de plasma à l’intention des gbHARSAH de Montréal selon les gbHARSAH cis et trans, le personnel et les bénévoles d’Héma-Québec, les donneurs actuels et les receveurs

Sommaire du projet

Généralités

De 1977 à 2013, il était interdit à jamais pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes de donner du sang au Canada. Graduellement, cette politique a été modifiée de façon à inclure une période d’attente de 5 ans, puis de 12 mois, et, en 2019, de 3 mois. En 2020, Héma-Québec a commencé à examiner la possibilité que les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (gbHARSAH) actifs sexuellement puissent faire un don de plasma destiné au fractionnement, qui est considéré comme sécuritaire pour les receveurs. 

Dans le but de continuer et d’étendre son étude financée par le Programme de recherche HARSAH, Joanne Otis (Université du Québec à Montréal) a analysé l’acceptabilité et la faisabilité des dons de plasma à Montréal selon les gbHARSAH, le personnel et les bénévoles d’Héma-Québec, les donneurs actuels et les receveurs de produits plasmatiques. En 2022, l’objectif du projet a été modifié en raison d’un changement politique concernant la sélection axée sur les comportements, ce qui a éliminé toute question relative à l’orientation sexuelle du processus de don. 

Ce que nous avons fait

De 2021 à 2024, nous avons procédé à quatre collectes de données distinctes auprès de groupes de participants différents. Chaque protocole était adapté aux politiques d’admissibilité en place à cette époque : 

Collecte de données 1 : gbHARSAH (de juillet à septembre 2021) 

Un an avant la mise en place du processus de sélection axé sur les comportements, nous avons interrogé 28 gbHARSAH séronégatifs au VIH. Les participants ont été répartis au hasard (à simple insu) entre quatre groupes. Chacun représentait une combinaison unique de deux conditions du programme liées aux dons de plasma des gbHARSAH : avec ou sans quarantaine relative au don, et avec des questions d’admissibilité propres aux gbHARSAH ou des questions non genrées. Lors de chaque entrevue, nous avons évalué l’acceptabilité du scénario attribué, ainsi que les opinions relatives à la faisabilité du programme. 

Collecte de données 2 : receveurs de produits plasmatiques (novembre 2021) 

Nous avons mené des entretiens individuels et en groupe avec 10 receveurs de produits plasmatiques et 7 parents d’enfants qui en dépendent. Les participants devaient d’abord attribuer une note à leur degré d’acceptabilité des dons de plasma des gbHARSAH destinés au fractionnement. Ils ont ensuite évalué divers scénarios de mise en œuvre (ordre de présentation contrebalancé) et discuté de leur faisabilité. 

Collecte de données 3 : donneurs actuels de sang et de plasma (d’octobre à décembre 2022) 

Après l’adoption par Santé Canada de sa nouvelle politique d’exclusion, nous avons convoqué trois groupes de discussion composés de donneurs actuels de sang et de plasma dans le but d’ébaucher divers points qui permettraient de cerner les attitudes envers les dons des gbHARSAH. De là, nous avons élaboré deux échelles : une échelle cognitive (p. ex. [la nouvelle approche en matière d’admissibilité] « contribuera à réduire la stigmatisation et la discrimination contre les gbHARSAH »; « augmentera les réserves de sang du Québec ») et une échelle affective (p. ex. « Je ressens de la fierté »; « Je crois que ce changement sera avantageux pour la société »). Finalement, nous avons fait parvenir par courriel un questionnaire en ligne comportant ces deux échelles à un échantillon aléatoire de personnes ayant fait un don de sang ou de plasma dans la dernière année (1 587 personnes ont répondu au sondage). 

Collecte de données 4 : personnel et bénévoles d’Héma-Québec (de novembre 2023 à février 2024) 

Environ un an après l’adoption, à l’automne 2022, des modifications concernant l’admissibilité aux dons de produits sanguins, nous avons interrogé le personnel d’Héma‑Québec dans le but de documenter leur degré d’acceptation des nouveaux critères concernant l’admissibilité au don de produits sanguins et d’évaluer leur niveau de confort avec ces changements. Nous avons également cherché à recueillir leurs expériences vécues liées à ces changements politiques, ainsi qu’à identifier leurs besoins supplémentaires en matière de formation et de soutien afin de faciliter la transition. Pour éclairer la conception de ce questionnaire, nous avons d’abord interrogé 11 informateurs clés de divers départements dans le but de déterminer les différents rôles des membres du personnel, de comprendre leurs expériences avec la nouvelle politique, et de cibler les besoins en matière de formation et de soutien. Nous avons ensuite fait parvenir la version finale du questionnaire par courriel au personnel et aux bénévoles actifs qui sont en contact avec le public (102 membres du personnel et 263 bénévoles ont rempli le questionnaire pour un total de 365 répondants). 

Ce que nous avons constaté

Collecte de données 1 : gbHARSAH 

Dans le cas des gbHARSAH séronégatifs au VIH, les procédures de don de plasma sans quarantaine étaient généralement perçues comme très acceptables. En revanche, celles qui impliquaient une quarantaine étaient perçues comme étant discriminatoires, contraignantes et décourageantes. Malgré ces perceptions négatives, certains participants ont tout de même exprimé leur intention de faire un don de plasma. Ils voyaient la quarantaine comme une étape transitoire possible qui pourrait permettre aux gbHARSAH d’accéder progressivement au don de sang, tout en assurant leur sécurité. Quant aux questions non genrées relatives à l’admissibilité, elles étaient perçues comme étant plutôt acceptables. En effet, les participants appréciaient leur uniformité pour l’ensemble des donneurs. Toutefois, plusieurs ont souligné que les questions portant sur les relations sexuelles anales constituaient toujours une façon indirecte de stigmatiser les gbHARSAH. De plus, les questions relatives à l’admissibilité qui ciblaient spécifiquement les gbHARSAH étaient perçues de manière défavorable et décrites comme stigmatisantes et discriminatoires. Enfin, la combinaison de questions sans quarantaine et non genrées était considérée comme étant l’approche la plus acceptable, car elle respecte le principe du traitement équitable. Même si plusieurs participants étaient prêts à faire un don, d’autres restaient méfiants à l’égard d’Héma‑Québec et de ses motivations. 

Collecte de données 2 : receveurs de produits plasmatiques 

Les receveurs de produits plasmatiques percevaient le plasma donné par les gbHARSAH comme étant acceptable. La plupart des receveurs approuvaient le changement politique et le considéraient comme nécessaire et bénéfique. Une telle attitude est souvent fondée sur la confiance envers Héma‑Québec et ses processus de sécurité. Toutefois, plusieurs participants s’inquiétaient de la sécurité des receveurs et se sentaient impuissants face au changement de politique. Ils ont cependant affirmé que l’obtention d’information claire et accessible concernant l’incidence du changement politique sur la sécurité des dons les rassurerait. Dans l’ensemble des entrevues, les participants ont insisté sur le fait que la sécurité des receveurs devait demeurer la principale priorité. 

Collecte de données 3 : donneurs actuels de sang et de plasma 

Au total, 87,4 % des 1 587 répondants (âge moyen de 48,3 ± 16,5 ans; 83 % ayant plus de cinq dons à leur actif) ont déclaré avoir la « forte » intention de refaire un don malgré le changement de politique. Seul 0,7 % d’entre eux ont dit qu’ils n’en avaient « aucune intention ». Suivant une analyse à régression linéaire multiple ajustée selon l’âge, aucune caractéristique personnelle ni expérience de vie n’était associée à l’intention de refaire un don. Des attitudes cognitives (β = 0,290) et affectives (β = 0,364) plus favorables envers les dons des gbHARSAH, ainsi que le fait de connaître une personne LGBTQ+ (β = 0,364), étaient également fortement associés à l’intention de refaire un don (tous p < 0,001). Enfin, les donneurs qui avaient déjà passé par le nouveau processus de sélection ont affirmé se sentir plus à l’aise avec les questions liées aux comportements sexuels (moyenne de 6,44/7) que ceux qui n’en avaient pas fait l’expérience (6,27/7; p < 0,001). 

Collecte de données 4 : personnel et bénévoles d’Héma-Québec 

Le personnel et les bénévoles qui interagissent avec le public avaient un haut niveau d’approbation sociale à l’égard des dons des gbHARSAH (moyenne de 3,44/4), des attitudes générales positives par rapport aux changements de l’automne 2022 (3,56/4) et un bon niveau d’acceptabilité des questions relatives aux comportements sexuels (3,60/4). Ils se disaient à l’aise d’interagir avec les donneurs gbHARSAH, trans et non binaires (3,63/4). Toutefois, ils éprouvaient un certain malaise lorsqu’il fallait discuter de la nouvelle politique avec eux (3,31/4). En outre, ceux qui connaissent une personne LGBTQ+ avaient tendance à avoir des attitudes plus favorables, à ressentir moins de stress face aux changements, à se sentir plus engagés dans la politique et à avoir moins de soucis relatifs à la sécurité. La plupart des répondants (72,2 %) n’ont pas vu d’incidence sur leur travail. De 12,8 % à 35,7 % des membres du personnel et 3,4 % des bénévoles ont déclaré avoir vécu au moins une situation difficile avec des clients. Cependant, la plupart des événements n’ont pas été signalés. Enfin, malgré la formation offerte par Héma-Québec, 25,1 % des bénévoles et 14,6 % des membres du personnel ont exprimé le besoin d’obtenir plus de formation ou d’information sur les changements de politique et les réalités de la communauté LGBTQ+. 

Occasions de changement

Pour améliorer l’acceptabilité des nouveaux critères d’admissibilité et la qualité de ses services, Héma‑Québec devrait :  

  1. améliorer la transparence des données, c’est-à-dire partager ouvertement les preuves et les statistiques qui sous-tendent les récents changements politiques afin que toutes les parties puissent comprendre les raisons liées à la sécurité; 
  2. engager les communautés gbHARSAH, c’est-à-dire établir un dialogue continu afin d’instaurer la confiance, de veiller à ce que les pratiques reflètent les réalités des communautés et d’aborder les préoccupations ou les conceptions erronées; 
  3. renforcer et maintenir la formation du personnel, c’est-à-dire offrir des formations continues ciblées aux membres du personnel et aux bénévoles sur les particularités des nouveaux critères d’admissibilité, les sujets actuels liés à la diversité sexuelle et de genres, et les stratégies de gestion des situations délicates lors des interactions avec les donneurs. 

Considérations futures

Cette étude brosse le portrait de trois périodes clés : avant, pendant et un an après les changements apportés aux critères d’admissibilité. Nos données laissent croire que certains aspects de l’acceptabilité (p. ex. niveau d’aisance, degré de préparation perçu et perception des risques) sont susceptibles de varier selon l’exposition continue à la nouvelle politique. Il serait donc judicieux d’interroger à nouveau ces groupes maintenant que les changements sont en place depuis plus longtemps, puis de répéter ces évaluations de manière régulière pour suivre l’évolution de leurs attitudes. 

Publications de recherche

Benoit, J., Caruso, J., Germain, M., Myhal, G., Monteith, K., & Otis, J. (2024). Plasma-derived product recipients' views on the acceptability of implementing a programme of plasma donation for fractionation from men who have sex with men. Vox Sanguinis, 119(10), 1058-1064.

Thibeault, C., Caruso, J., Otis, J., Germain, M., Lewin, A., Myhal, G., ... et Daunais-Laurin, G. (2023). CO7-4 Acceptabilité d’un questionnaire non genré chez les donneurs d’Héma-Québec et intention de retourner faire un don. Transfusion Clinique et Biologique, 30, S53-S54.

Du savoir à l’action

Les résultats ont été directement transmis à Héma‑Québec et intégrés à son processus décisionnel. Les analyses des études réalisées lors de nos deux premières collectes de données ont éclairé la soumission d’Héma‑Québec à Santé Canada concernant l’approbation réglementaire des nouveaux critères d’admissibilité. Elles ont également servi à élaborer une stratégie de mise en œuvre en orientant le contenu du site Web lié aux changements, en définissant le programme de formation du personnel et des bénévoles, et en étayant toutes les communications connexes.