Résumé du projet

Contexte

Le système d’approvisionnement en sang du Canada repose sur la participation de donneurs volontaires et comporte un certain nombre d’exclusions pour les donneurs à « haut risque ». Le succès de toute modification des critères d’admissibilité au don de sang dépend de la façon dont les candidats au don interprètent et répondent aux questions du questionnaire pré-don, ainsi que du niveau de risque perçu par le public quant à l’innocuité des produits sanguins. Jusqu’en 2013, tout homme ayant eu des rapports sexuels avec d’autres hommes (HARSAH) depuis 1977 était exclu du don de sang. Depuis, cette exclusion a tout d’abord été transformée en une période de non-admissibilité de cinq ans après le dernier rapport sexuel, puis en une période de non-admissibilité de douze mois, et enfin, en juin 2019, en une période de non-admissibilité de trois mois. Cela signifie que, pour pouvoir donner du sang, les hommes doivent s’abstenir de tout rapport sexuel (oral ou anal) avec un autre homme pendant trois mois. Nous avons donc étudié l’attitude et l’acceptation dont font preuve les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH à l’égard de cette période de non-admissibilité — douze mois au moment des entrevues, ainsi que leurs opinions sur d’éventuelles modifications de cette politique. 

Description

Des entrevues individuelles approfondies ont été menées avec 47 hommes gais, bisexuels et autres HARSAH à Vancouver, Toronto et Montréal. Engage, un projet d’envergure nationale s’intéressant à la santé sexuelle de cette catégorie de population, s’est chargé de recruter des hommes aux profils variés (âge, origine, statut VIH, profil de risque sexuel). L’objectif principal était de comprendre l’attitude de ces hommes face à la période de non-admissibilité des HARSAH au moment des entrevues, soit douze mois après le dernier rapport sexuel, ainsi que leur acceptation de cette politique; leurs opinions sur d’éventuelles modifications de cette politique; et leur propension à donner du sang en cas de changement de la politique. Nous avons également recueilli leurs points de vue sur le don de plasma. Les entrevues ont été retranscrites et codées à l’aide du logiciel Nvivo, un outil d’analyse qualitative des données. 

Résultats

La plupart des participants étaient opposés à tout type de période de non-admissibilité liée à l’activité sexuelle des HARSAH, qu’ils jugeaient injuste et illogique. Pour eux, une politique qui se veut juste et sécuritaire doit être « la même pour tous » et ils pensent qu’il est possible d’intégrer au processus de don de sang une politique sexuellement neutre, c’est-à-dire basée sur les risques comportementaux au lieu de la sexualité, ainsi que des stratégies de dépistage du VIH. Concernant la réduction éventuelle à trois mois — implémentée plus tard — de la période de non-admissibilité au don de sang des HARSAH après un rapport sexuel, on peut rassembler leurs opinions en trois grandes catégories : 1) un pas dans la bonne direction; 2) ambivalence et incertitude; et 3) ne constitue pas une amélioration.

Une seconde analyse des entrevues des 39 participants séronégatifs au VIH réalisée du point de vue de la citoyenneté sexuelle et de la citoyenneté biologique a révélé un rapport complexe entre les façons dont ces concepts sont perçus dans le cadre du don de sang. Au niveau individuel, la plupart des participants se considéraient comme « sûrs/à faible risque » et « disposés à faire un don », et ont indiqué qu’ils tireraient de la satisfaction et de la fierté civique à être donneur. Un petit nombre ne considérait ni la citoyenneté biologique ni la citoyenneté sexuelle associées au don de sang comme des priorités pour les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH.

Enfin, une troisième analyse des 39 participants séronégatifs au VIH a montré que beaucoup d’hommes gais, bisexuels et autres HARSAH seraient enclins à donner du plasma s’ils le pouvaient — comme pour le don de sang total, ils ont montré un fort désir d’aider autrui. Toutefois, cette volonté de bien faire était entachée par le fait que la plupart d’entre eux avaient peu de connaissances sur le sujet et sur l’importance du don de plasma du point de vue médical. Leurs opinions sur l’admissibilité des HARSAH au don de plasma étaient variées : pour certains, cela représentait un tremplin vers l’admissibilité des HARSAH au don de sang et pour d’autres, il s’agissait d’une mesure insuffisante qui positionnait les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH en donneurs de « seconde classe ». Lors de la discussion sur le don de plasma, plusieurs participants ont émis des préoccupations sur les répercussions de la politique discriminatoire d’admissibilité au don de sang. S’agissant du don de plasma, nos données révèlent un profond décalage entre la nécessité vitale du don de plasma pour les fournisseurs de sang et les patients et le sentiment de nombreux hommes gais, bisexuels et autres HARSAH, qui considèrent le don de plasma comme moins important.

De façon générale, ces analyses suggèrent que les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH sont très conscients des risques élevés liés à leur sexualité et qu’ils souhaitent qu’on leur donne des justifications scientifiques claires expliquant pourquoi la politique d’admissibilité au don de sang des hommes gais, bisexuels et autres HARSAH doit être différente de celle des hommes hétérosexuels. La plupart des participants se considèrent, au vu de leurs pratiques sexuelles, comme des donneurs futurs « sûrs ». Beaucoup d’entre eux ont exprimé leur désir et leur intention de donner du sang s’ils y étaient admissibles, et la plupart pense qu’il est important de le faire. Aucun participant n’a laissé entendre qu’il ne se plierait pas aux critères — actuels ou futurs — du don de sang définis par Santé Canada. La plupart des participants ne comprenaient pas ce qu’est le plasma ou le don de plasma. Bien que certains aient montré de l’intérêt à donner du plasma, ils pensaient cela injuste d’autoriser les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH à faire des dons de plasma, mais pas de sang. Un travail doit être fait par les fournisseurs de sang pour gagner la confiance des hommes gais, bisexuels et autres HARSAH.

Applications

La Société canadienne du sang et Héma-Québec doivent : 1) continuer de chercher d’autres moyens de sélectionner les HARSAH, autres que la non-admissibilité temporaire des HARSAH, dont par exemple, des politiques non genrées ou basées sur le mode de vie; 2) mieux expliquer les raisons de la période de non-admissibilité de trois mois étant donné l’état actuel des connaissances technologiques; 3) communiquer et dialoguer avec les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH pour rétablir la confiance; et 4) expliquer que les décisions concernant les politiques d’admissibilité sont basées sur les dernières données scientifiques, dont les résultats des dernières études quantitatives et qualitatives réalisées au Canada. Notre analyse la plus récente s’avère utile pour la demande que la Société canadienne du sang a l’intention de présenter très prochainement à Santé Canada à propos du don de plasma.

Lacunes

Une importante limite de cette étude réside dans le fait que nous nous sommes focalisés sur la non-admissibilité de ces hommes du point de vue de leur sexualité et que nous n’avons pas analysé les autres motifs possibles de non-admissibilité. Bien que ce parti pris nous ait aidés à atteindre les objectifs définis initialement, nous pensons qu’il est important d’évaluer les autres motifs intersectionnels de non-admissibilité des hommes gais, bisexuels et autres HARSAH — c’est-à-dire de reconnaître le caractère hétérogène de ce groupe et le fait que certains de ces hommes continuent de trouver injuste la politique d’admissibilité au don de sang à cause d’autres critères, comme ceux liés au pays d’origine. Enfin, des analyses plus poussées sont requises pour mieux comprendre comment les politiques de non-admissibilité qui se basent sur l’activité sexuelle peuvent être mal perçues par les personnes trans et non binaires, ainsi que les nombreuses raisons pour lesquelles certains hommes gais, bisexuels et autres HARSAH continueront de considérer les politiques d’admissibilité au don de sang comme hautement problématiques au-delà de la période de non-admissibilité des hommes gais, bisexuels et autres HARSAH.

Publications et ressources

​Grace et al., 2019. Gay and Bisexual Men's Views on Reforming Blood Donation Policy in Canada: A Qualitative Study . BMC Public Health 19 (1), 772 (2019). 
DOI: 10.1186/s12889-019-7123-4
Article available free online

Résumé de l'article : Gay, Bisexual, and Queer Men Call for Equity and Evidence in Blood Donation Policy

Grace et al., 2020 It’s in Me to Give: Canadian Gay, Bisexual, and Queer Men’s Willingness to Donate Blood If Eligible Despite Feelings of Policy DiscriminationQualitative Health Research 2020; DOI: 10.1177/1049732320952314
Article available free online 

Résumé de l'article : Many Gay, Bisexual, and Queer Men Willing to Donate Blood if Eligible but Find Current Deferral Policy Discriminatory 

Grace et al., 2021: Stepping Stones or Second Class Donors?: a qualitative analysis of gay, bisexual, and queer men's perspectives on plasma donation policy in Canada.  BMC Public Health 21, 444 (2021). DOI: 10.1186/s12889-021-10480-x
Article available free online  

Acceptabilité et faisabilité concernant le don de plasma


Joanne Otis, professeure en éducation à la santé à l’Université de Montréal, a étudié l’acceptabilité et la faisabilité du don de plasma d’aphérèse chez les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH. 

Projet terminé et publié

Modélisation mathématique des risques


Sheila O’Brien, directrice adjointe du service d’épidémiologie et de surveillance de la Société canadienne du sang, et des chercheurs d’autres pays ont conçu et affiné des modèles mathématiques afin de comprendre les risques associés aux modes de sélection basés sur l’exclusion temporaire d’une catégorie de personnes et l’évaluation individuelle des risques posés par les candidats au don en fonction de leur mode de vie. (Comprend les résultats de deux projets menés par Sheila O’Brien.) 

Projet terminé et publié 

Modélisation mathématique des risques — plasma


Antoine Lewin, biostaticien en chef à Héma-Québec, a étudié un modèle mathématique afin de comprendre les risques associés au don de plasma par les hommes gais, bisexuels et autres HARSAH.

Projet terminé et publié.